Boris Vian, « A tous les enfants »

 


A tous les enfants qui sont partis le sac à dos

Par un brumeux matin d'avril
Je voudrais faire un monument
A tous les enfants

Qui ont pleuré le sac au dos
Les yeux baissés sur leurs chagrins
Je voudrais faire un monument
Pas de pierre, pas de béton

Ni de bronze qui devient vert

Sous la morsure aiguë du temps
Un monument de leur souffrance
Un monument de leur terreur
Aussi de leur étonnement
Voilà le monde parfumé,

Plein de rires, plein d'oiseaux bleus

Soudain griffé d'un coup de feu
Un monde neuf où sur un corps

qui va tomber

Grandit une tache de sang
Mais à tous ceux qui sont restés

Les pieds au chaud, sous leur bureau

En calculant le rendement

De la guerre qu'ils ont voulue
A tous les gras tous les cocus

Qui ventripotent (1) dans la vie

Et comptent et comptent leurs écus
A tous ceux-là je dresserai

Le monument qui leur convient

Avec la schlague (2), avec le fouet

Avec mes pieds avec mes poings
Avec des mots qui colleront

Sur leurs faux-plis (3) sur leurs bajoues

Des larmes de honte et de boue.

 

Boris Vian, «  A tous les enfants »

Enregistrer un commentaire

0 Commentaires