LES
Comme le titre, la préface est un élément important du paratexte qui
focalise l’intérêt de nombreux chercheurs. Elle semble fonctionner comme un
méta-discours situé avant le texte, qu’elle présente et commente. Elle a pour
visée explicite d’en orienter la réception. En explicitant le projet de l’auteur,
la préface donne des consignes de lecture. La rédaction d’une préface vise donc
à « obtenir une lecture » en valorisant le sujet, et à « obtenir
que cette lecture soit bonne » en guidant le lecteur.
Dans
« Hors-livre »([1])
Derrida dit de la préface, qu’elle est un discours d’assistance, un
« vouloir dire », une « propédeutique au livre
idéal » ; et il fait observer qu’en tant que telle, elle est mensonge
ou illusion puisque l’œuvre justement est tout sauf univoque, et que l’écriture
ne se réduit pas à une formule mathématique, ni à l’application de cette
recette, de surcroît donnée à posteriori. Ce qui explique que le roman
« introduit » par la préface peut (ou ne peut que) la contredire. La
grande particularité de la préface tient au fait que ses destinateurs se
déclinent sous plusieurs identités possibles.
L’auteur d’une préface
peut être en effet celui de l’œuvre même, elle sera alors auctoriale ou
autographe, ce peut être aussi une préface
actoriale, c'est-à-dire rédigée par un personnage de l’histoire ou
encore allographe quand il s’agit d’une tierce personne.
Elle sera dite authentique
si elle est attribuée à une personne reconnue par tous, et dans le cas
contraire on la qualifiera d’apocryphe. L’adjectif « fictive » sera
alors attribué à la préface destinée au lecteur virtuel.
Genette consacre un
chapitre aux fonctions de la préface originale. Il écrit que cette dernière a
pour « fonction cardinale d’assurer au lecteur une bonne lecture »([2]).
La préface auctoriale originale (écrite par l’auteur au moment de la première
parution du livre) est la plus fréquente. Elle s’acquitte de ce rôle en
remplissant deux fonctions : L’incitation à la lecture et la programmation
de la lecture.
1. Les fonctions
de la préface
1 . Obtenir la lecture
La première fonction de la préface,
obtenir la lecture, suppose une certaine habileté de la part de l’auteur, qui doit valoriser son texte sans
indisposer le lecteur par une valorisation trop visible de lui-même. La
stratégie consiste pour l’auteur à défendre son œuvre sans se mettre en
avant ; Aussi dans la plupart des préfaces l’insistance sur l’intérêt du
livre Va-t-elle de pair avec une modestie (feinte le plus souvent) du romancier
quant à son talent. Il y a plusieurs façons de valoriser le sujet :
- La première est
d’insister sur l’importance de la question traitée, et donc sur l’utilité qu’il
y a à lire l’ouvrage. Il s’agira selon le cas, d’une utilité, documentaire,
intellectuelle, morale, religieuse sociale ou politique.
- La seconde est de
souligner selon les goûts supposés du public auquel le texte
s’adresse :
1- L’originalité de l’œuvre ou son respect de la tradition.
2- Son unité
ou sa diversité.
3 - Sa véridicité.
Ces valorisations sont contrebalancées
par des « aveux » du
romancier, sur ses insuffisances, aveux que Genette rattache à une fonction
corollaire significativement baptisée « fonction paratonnerre ».
Il s’agit pour le préfacier, de prévenir les
effets négatifs d’une célébration trop
explicite de l’ouvrage qu’il propose au lecteur. La modestie réelle ou feinte,
lui permet de désamorcer les accusations
de prétention ou de vanité.
2. Orienter la lecture
La seconde fonction de la préface ne concerne pas le pourquoi, mais le
comment de la lecture : elle s’efforce de guider le lecteur dans sa
relation au texte. Une des fonctions de la préface est de« cadrer »
le rapport au texte. Là encore, l’auteur dispose de nombreux moyens pour
orienter la réception du roman. Parmi les principaux :
-Les informations sur la
genèse de l’œuvre (éléments biographiques, indications de sources,
remerciements divers).
- Le choix d’un public
(lecteurs souhaités, public idéal, lecteurs refusés)
- Le commentaire du titre.
- Le contrat de fiction (« ce que
vous lisez est pure fiction »)
- L’indication de l’ordre de lecture.
- Les précisions sur le contexte.
- Les déclarations d’intention.
- La définition du genre.
Toutes ces indications
tracent un horizon d’attente qui oblige à lire le livre dans une perspective
particulière. Pour les préfaces, comme pour les titres, tous les détournements
ironiques, sont bien sûr, possibles, mais les éléments préfaciels renvoient
toujours à l’une ou l’autre de ces deux fonctions cardinales : susciter et
programmer la lecture.
2. Les
autres types de préface
Outre la préface auctoriale originale,
Genette mentionne :
- Les préfaces ultérieures dont
la fonction est souvent de répondre aux critiques.
- Les préfaces tardives qui proposent
un bilan.
- Les préfaces allographes qui, écrites par un tiers, recommandent plus
qu’elles ne valorisent et présentent plus qu’elles ne guident.
- Les préfaces fictionnelles qui simulent les préfaces sérieuses,
attribuent le texte à un autre auteur
fictif.
Cependant tous ces types de préfaces
postulent un soubassement idéologique qui
fait aujourd’hui l’unanimité des chercheurs ; car que la préface
soit autographe ou allographe la distinction entre préfacier et romancier, de
même qu’entre discours et récit s’impose. La préface est à considérer comme un
discours extérieur au roman« Dans le roman « je » (…) raconte le
monde. Dans la préface : (…) « je » parle de son récit du monde,
ce n’est pas tout un »([3])
.
Ainsi Claude Duchet
pour qui « la matière préfacielle » se répartit dans les notes, la
dédicace, l’épigraphe, le titre, le second titre, le sous-titre, les chapitres introductifs ou conclusifs et dans
le texte même, sous la forme d’un discours du narrateur, y voit les
« éléments d’un débat sur le roman, son évolution, son statut
socioculturel, ses techniques et les représentations idéologiques liées à telle
conception de l’Histoire et du roman » ([4])
.
En outre ce texte
préliminaire peut être appelé différemment, c’est en généralisant le terme
« préface » à « toute espèce de texte liminaire (auctorial ou
allographe) consistant en un discours produit à propos du texte qui suit ou qui précède »([5])
que Genette a établi sa typographie des préfaces.
En effet, il convient de signaler que
la préface a subi des transformations au niveau de son volume et de sa
fréquence. Ses multiples dénominations recouvrent ce que l’on nomme un
« appareil préfaciel ». Ainsi nous considérons comme préfaces tous les
textes préliminaires sous leurs différentes dénominations, tout en restant
attentif à leurs nuances. Par ailleurs seules les préfaces autographes seront
retenues, puisque c’est le discours produit par l’auteur sur son propre texte
qui nous intéresse.
On pourrait finalement remarquer que la
pratique préfacielle va cependant aller
en s’étiolant au fil du temps. Les textes contemporains s’inscrivent dans la
perspective d’une littérature « désaliénante », « ouverte »,
et rendant sa liberté au lecteur, répugnant à orienter trop explicitement
le rapport au texte.
Cette méfiance à l’égard du caractère
trop directif de la préface, explique le transfert progressif de ses fonctions
(obtenir et programmer la lecture) vers l’incipit.
Toutes ces remarques à propos de l’incipit romanesque, et quelques
éléments du paratexte jusqu’ici mentionnées, ne prennent bien entendu, toute
leur dimension qu’à partir d’une confrontation du seuil romanesque avec son
inverse : La sortie du texte, la mise en relation de ces deux lieux stratégiques
permet d’apprécier les systèmes de complémentarité, d’opposition, de parallélisme
conçus par le romancier.
[1]- La
déssimination ch.I op.cit.
[2]- «Seuils »
op.cit. p.183.
[3]- Henri
Mittérand, Le discours du roman .op.cit.
[4]- « L’illusion
historique : l’enseignement des préfaces » (1815-1832) in Revue
d’histoire littéraire de la France n° 2-3 numéro consacré au roman
historique, p.249
[5]- Seuils Genette
op.cit. p.150.
0 Commentaires